Marseille, 12 et 13 novembre 2021. (Site : https://assembleesdescommuns.cc/)
Le 15 septembre 2021, une rencontre autour de la thématique culture avait lieu dans le cadre du festival Septembre citoyen. Il y était traité des modèles qui se sont inventés depuis 25 ans, nés d’initiatives à l’articulation entre les territoires et leurs habitants.
Les invités étaient : Dimitri Boutleux, adjoint en charge de la culture à Bordeaux, Constantin Petcou, architecte impliqué dans les utopies urbaines réalisées que sont les Agrocités en banlieue parisienne, Jules Desgouttes, coordinateur de AFAP, structure de recherche et de mise en réseau des lieux intermédiaires, créateurs de nouveaux communs, Julie Dupas et Céline Astrié, du tiers lieu le pré vert à Rabastens, nouvel eldorado des artistes toulousains ne trouvant plus leur place dans la ville rose.
Suite à cette rencontre, nous avons souhaité continuer à être en lien avec ce qui se fait ailleurs, ce qui aurait pu être fait à Toulouse, pour être des témoins privilégiés de ces actions qui sont autant de laboratoires de la mise en œuvre de nouvelles approches pour faire culture autrement.
Nous avons commencé par une présence à l’assemblée des communs, à Marseille, les 12 et 13 novembre. Nous y avons retrouvé Jules Desgouttes, Joël Lecussant et de nombreux acteurs de ce qui s’invente en termes de « commun ». Archipel était donc présent parmi d’autres structures comme Framasoft, la 27eme région, des élus Lyonnais ou Grenoblois, et bien d’autres
L’assemblée des communs Quésaco ?
L’Assemblée des communs est une rencontre nationale pour mettre les communs àl’agenda, partager les expériences et les relier, débattre, se doter d’outils et de stratégies pour la reconnaissance des communs.
L’assemblée des communs a pour ambition d’être un espace où les communs pourront créerles conditions de leur autonomie afin de pouvoir contribuer collectivement à une transition sociale et écologique à travers le dialogue et les alliances avec les forces sociales qui partagent cette ambition.
L’Assemblée des communs s’institue comme un espace de co-construction des outils et desmécanismes économiques, sociaux, juridiques et politiques qui conditionnent l’émergence et la consolidation des communs et comme le creuset du récit qu’ils emportent avec eux pour contribuer à faire advenir une société juste.
La Méthode
Pendant 3 jours, les participants vont à la rencontre des initiatives marseillaises qui agissent au niveau des communs. Plusieurs parcours sont proposés, agrémentés de temps de débat, de discussions, de co construction en utilisant des outils de l’éducation populaire. Malheureusement nous n’y étions présents que les 2 premiers jours.
Jour 1
Visite de l’Auberge Marseillaise, la coopération au service de l’urgence
L’auberge Marseillaise est un lieu d’accueil d’urgence co piloté par plusieurs structures, dans une ancienne auberge de jeunesse appartenant à la ville de Marseille. Nous visitons ce bâtiment défraîchi où sont logés des personnes en situation d’urgence faisant face à des parcours de vie tumultueux. Ce sont des femmes, dont certaines d’entre elles sont accompagnées de leurs enfants. L’auberge marseillaise est située dans un quartier pavillonnaire, l’occupation y est temporaire ; elle est gérée par plusieurs organisations spécialisées dans le social, la restauration ou les jardins partagés.
Les personnes hébergées ont des parcours de vie divers, le caractère temporaire de la situation pose la question de l’après où la différence des désirs montre que la réponse de l’urgence se trouve dans le collectif pendant un temps donné. Certaines souhaitent trouver ensuite un logement pour y vivre normalement une vie de maman avec enfants, certaines voient dans cette expérience la possibilité d’une vie en communauté sur le plus long terme.
La gouvernance se fait selon plusieurs sphères: une sphère “méta” avec les structures impliquées influant sur le politique notamment; une sphère sur le fonctionnement interne avec les différents services et activités; une sphère résidents sur le fonctionnement et les éventuels problèmes et enfin, une sphère enfants.
Le modèle s’affine à mesure que les expériences se vivent, le lien avec le voisinage, la méfiance qui se transforme en confiance , l’apparition de nouveaux besoins, comme celui d’un centre de loisirs pour occuper les enfants et leur proposer à eux et à leurs maman, des temps séparés. Nous comprenons que l’auberge marseillaise a pu naître parce que la nouvelle municipalité a choisi de soutenir le projet. Pour rappel, après 25 ans de règne Gaudin, la mairie passe à gauche en 2020.
La Plateforme QX1, un outils au service de l’entraide
Toujours installés dans l’auberge marseillaise, nous assistons à la présentation d’un autre projet, la plateforme QX1. QX1, qui signifie dans le langage maritime « permission de jeter l’ancre », est un espace dématérialisé permettant de donner des informations utiles aux migrants qui arrivent à Marseille : points d’eau, service, hébergement etc…Ces informations sont données par des migrants au cours de témoignages recueillis par les acteurs de cette plateforme. La plateforme est aussi déclinée sous la forme d’une application. L’usage de QX1 est croissant, elle est un outil pertinent qui commence à intéresser des institutions, notamment au Maroc.
En plus de répondre à des urgences vitales, QX1 est aussi un endroit où les migrants acceptent de partager leurs histoires, donnant une épaisseur humaine à ce qui est trop souvent perçu comme des flux ou des statistiques.
Convergence à Jeanne Barret, l’éducation populaire pour rendre compte et faire émerger.
Après avoir partagé un couscous à prix libre dans une association marseillaise, nous nous rendons aux ateliers Jeanne Barret “lieu d’expérimentation, de production et de création artistique, dans une approche écosophique et pluridisciplinaire en lien avec son village”.
Il s’agit ici de faire converger les expériences de chacun vécues le matin et de finir par un débat autour des apports des communs dans le contexte de l’anthropocène. On utilise largement les outils de l’éducation populaire : méthode du bocal à poisson, crieurs publics etc …
L’effondrement des immeubles de la rue d’Aubagne et la mise en mouvement des citoyens
Nous nous retrouvons en soirée au Dakiling, à quelques pas du trou laissé dans l’alignement des immeubles de la rue d’Aubagne lorsqu’ils s’effondrent en 2018, faisant 8 morts. On nous raconte comment le dakiling, lieu de spectacle, devient l’endroit de rassemblement des habitants, on nous raconte l’auto-organisation et l’entraide alors que de très nombreux habitants sont contraints de déménager en urgence, alors que d’autres immeubles pourraient s’effondrer. On nous raconte enfin la colère et la révolte qui gagne alors que la dégradation des immeubles avait été signalée et que l’inaction de la mairie ayant mené à cette catastrophe résume l’état d’une ville vendue méthodiquement aux opérateurs privés.
Jour 2
Le sens de la pente : une randonnée urbaine de l’Estaque aux quartiers nord, l’échelle de l’humain dans les grands flux mondiaux
Le sens de la pente est une balade urbaine réalisée par Hôtel du Nord. La balade part à la rencontre des initiatives citoyennes dans des territoires aux marges de Marseille.
Nous nous retrouvons à Thalassante, un lieu créé sur cet espace bétonné en front de mer, un lieu de vie et de projet. Bar, studio de répétition, salle de jeux, hébergement d’associations, incubateur de projets autour de la culture maritime. Depuis 20 ans, Thalassante bénéficie d’un droit d’occupation temporaire renouvelé tous les ans. Cette année, ce droit n’a pas été reconduit, mettant la structure hors la loi.
Nous continuons dans l’Estaque et nous faisons une halte devant l’Harmonie. On nous raconte l’histoire de cet endroit où se retrouvent les habitants pour y jouer de la musique. On comprend que c’est ici que se tissaient les relations, les décisions, les compromis, les échanges de bons procédés et l’importance du pastis.
Nous commençons ensuite à entamer les hauteurs de ce quartier à flanc de colline et nous arrêtons rue de l’harmonie pour écouter une habitante nous jouer un air de piano depuis sa maison. De son balcon, elle nous explique comment, pendant le confinement, les habitants de la rue, dont plusieurs sont musiciens, se sont retrouvés tous les jours, un peu plus haut, au bout de la rue, sur la passerelle en fer qui enjambe la voie ferrée.
Le groupe continue jusqu’à cette passerelle où l’on retrouve les traces de ce qui fut le rendez-vous du confinement pour des habitants d’un quartier de L’Estaque.
La balade passe devant des espaces de nature privatisés où sont disposés des containers en lien avec l’activité portuaire. On nous explique que la présence d’un port nécessite d’avoir des espaces vides pour faire transiter des flux. Ces espaces vides sont particulièrement présents au milieu de la garrigue.
Nous continuons un peu pour arriver à Miramar.
Miramar est un espace boisé privé qui fait face à la mer. Les habitants ont découvert qu’il devait être rasé pour stocker de nouveaux containers. La mobilisation des habitants qui venaient se rassembler sur la parcelle, s’est muée en collectif pour sauver les arbres. Ils s’arment juridiquement et comprennent que la zone boisée ne peut être construite après avoir étudié le PLUI. Ils comprennent aussi que le PLUI est en cours de changement et se mobilisent donc pour qu’il évolue en leur faveur.
Ils décident de cultiver un jardin potager car la culture du jardin, sa temporalité marque aussi la temporalité de la résistance : blocage du projet pendant 6 mois à partir du dépôt de plainte. On fait le parallèle entre les containers du début de la ballade priés de dégager et ceux prévus ici, manifestement illégaux.
Après un pique-nique à l’ombre des arbres bien vivants de MIRAMAR où l’on écoute des poèmes, de la musique, nous repartons.
La balade continue ensuite vers les quartiers nord en empruntant un itinéraire témoignant d’une zone de la ville impensée, où des chemins à travers les parcs butent sur des 2×2 voies, où la construction de centres commerciaux géants sont la seule réponse donnée aux difficultés sociales de cet endroit des quartiers nord.
Après un bref sondage pour savoir si nous décidons collectivement de traverser cette voie rapide à pied ou pas, nous enjambons les glissières tout en expliquant aux automobilistes pourquoi tout d’un coup des dizaines de personnes se retrouvent sur la route.
Réunis au pied du centre commercial, nous écoutons les témoignages de travailleurs sociaux, de chercheurs, qui montrent l’urgence de reprendre pied dans des espaces occupés par les dealers.
Enfin, nous quittons prématurément la balade (nous devons être à Toulouse à 21h) au Parc Foresta au pied des panneaux MARSEILLE (façon Hollywood), investis par plusieurs associations pour y créer un vrai parc pour tous.
Une personne vient nous voir en nous vantant cet endroit populaire, où les enfants peuvent faire des tours en poney, louer des véhicules tous terrains à pédales. Il nous précise que c’est un projet écolo. Ça tombe bien : la ville a élu une maire écolo aux dernières élections municipales … qui a ensuite démissionné pour laisser sa place à un socialiste.
Décidément , Marseille est bien singulière, nous la quittons avec pleins d’envies pour Toulouse.