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Des jeunes cherchent un toit

LA GUERRE, CETTE HORREUR « PRODUIT » DES LAISSÉS POUR COMPTE, EN PARTICULIER DES MINEURS QUI SE METTENT EN MIGRATION. UN PHÉNOMÈNE QUI N’A RIEN DE NOUVEAU. SEULE NOTRE MANIÈRE DE LE NOMMER ÉVOLUE : ORPHELINS DE GUERRE, JEUNES SANS PAPIERS, MINEURS NON ACCOMPAGNÉS (MNA), MINEURS ISOLÉS ÉTRANGERS (MIE). QUE DEVIENNENT CES JEUNES QUI TROUVENT REFUGE À DEUX PAS DE CHEZ NOUS ?

DANS LES FAITS

À Toulouse, retenons la date d’un basculement éthique : le 12 avril 2016. Depuis, le Conseil Départemental de la Haute-Garonne (CD31) refuse de prendre en charge les jeunes tant qu’ils n’ont pas fait la preuve de leur minorité. Le conseil départemental (CD31), qui a pour mission l’accueil inconditionnel des mineurs, s’octroie le pouvoir de juger de la minorité des jeunes et de la crédibilité de leurs récits. On se méfie du jeune qui se présente au terme d’un long parcours : « S’il n’était pas mineur comme il le prétend ? Et puis, d’où vient-il ? Est-il isolé ? Son récit de vie est-il véridique ? ». S’est installé un glissement institutionnel qui est surtout politique.

Qui sont ces jeunes ? Invisibles dans la cité, ils sont relégués dans un lieu en périphérie avec peu de droits ouverts. Ils sont trop souvent instrumentalisés comme boucs émissaires par des discours politico-populistes. Ils sont catégorisés – “Le migrant” – sans égard pour la singularité des parcours.

À Toulouse, ils se retrouvent dans AutonoMIE, un collectif de jeunes mineur·e·s isolé·e·s que nous avons rencontré·e·s.

À LA RENCONTRE DES JEUNES D’AUTONOMIE MARS 2022 : nous les rencontrons à l’occasion d’un événement qu’ils organisent. Musique, prises de parole, danses. La joie partagée dans la fête contraste avec la solennité et l’urgence. Les jeunes disent aux bénévoles et militant·e·s leur reconnaissance de leur procurer un toit, de quoi manger, une sécurité juridique minimale.

2 Ils se disent accompagnés par les associations. AVRIL 2022 : nous sommes accueillis sur le lieu de vie des jeunes. Le ton est grave. Ils nous disent le manque de nourriture, la crainte d’être mis à la rue, la peur que le collectif soit brisé ainsi que les liens avec les associations. Les traumas des parcours de migration sont réactivés. Cela s’entend. L’angoisse est palpable.

MAI 2022 : nouvel appel à rassemblement suite à la validation de l’expulsion des jeunes par le tribunal administratif.

UN DROIT, BAFOUÉ DANS SA MISE EN APPLICATION Le cadre juridique est limpide : « Parce que les enfants sont plus vulnérables que les adultes, parce qu’ils n’ont ni droit de vote ni influence politique ou économique, parce que le développement sain des enfants est crucial pour l’avenir de toute société, le monde s’est doté en 1989 de la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) ». La CIDE, signée par 195 pays, reconnaît un socle de droits, juridiquement opposables, dont un logement digne et l’accès à l’école.
Le défenseur des droits « rappelle aux préfectures et aux parquets que [la procédure administrative] doit avoir lieu quelle que soit la situation de la personne se disant Mineure Non Accompagnée (MNA) à l’égard du dispositif de protection de l’enfance » et propose de reconnaître la place des associations qui accompagnent ces jeunes. Il dénonce la situation de traite des mineurs exclus ou en attente des dispositifs.

Dans la Convention Internationale des droits de l’enfant, l’UNICEF souligne le droit des enfants migrants et s’alarme du respect de ces droits par la France : « L’intérêt supérieur de l’enfant n’est pas une option ».

LE CONSEIL DÉPARTEMENTAL DE LA HAUTE-GARONNE (CD31)
Le CD31 met en place le Dispositif Départemental d’Accueil, d’Évaluation et d’Orientation des Mineurs Isolés (DDAEOMI). Ses capacités d’accueil sont limitées (30 jeunes, 7 encadrants). Le DDAEOMI opère le tri (hors cadre juridique) en évaluant la minorité et l’isolement des jeunes. Pour les associations, 80 % à 95 % des jeunes écartés du DDAEOMI sont reconnus mineurs par la justice. Droits bafoués. Mineurs laissés à la rue. Mineures aussi !

LE PARCOURS D’AUTONOMIE

LA MAIRIE DE TOULOUSE

Ne pouvant rester dans le lieu qu’ils occupaient en autogestion, les jeunes d’AutonoMIE finissent par trouver refuge aux « Tourelles ». Le lieu appartenant à la Mairie, celle-ci se substitue au CD31 qui fait défaut dans sa mise à l’abri des jeunes.

Un partenariat expérimental est monté. Les moyens mis en œuvre s’avèrent insuffisants. L’association missionnée par la Mairie peine à remplir sa mission : on ne soutient pas un groupe autogéré comme on encadre une Maison d’Enfant à Caractère Social (MECS). L’écart se creuse entre volonté de contrôle de la Mairie et inquiétude des jeunes. Jusqu’à la rupture.

DES ASSOCIATIONS ET COLLECTIFS SE SUBSTITUENT AUX CARENCES ET MANQUEMENT DES INSTITUTIONS
L’accompagnement des jeunes est mis mal à mal par le confinement, les associations qui soutenaient le collectif tiennent. Le confinement passe. La Société de Saint-Vincent de Paul assure la subsistance alimentaire des jeunes en lien avec la banque alimentaire et participe à la confection d’un repas collectif hebdomadaire. L’association Tous En Classe 31 continue à soutenir la scolarisation des jeunes. Médecin du Monde propose des groupes de paroles, assure une permanence, accompagne et oriente les jeunes qui ont des besoins médicaux particuliers. Le recours à l’Aide Médicale de l’État est rendu plus complexe et nécessite le soutien de la Croix Rouge (domiciliation).

Les jeunes d’AutonoMIE s’organisent avec des adultes militants et luttent ensemble pour faire reconnaître leurs droits. Par carence des structures gestionnaires, ils fonctionnent en autogestion.

ET MAINTENANT ?

La Mairie finit par jeter l’éponge et annonce la fermeture des Tourelles pour le 7 février. L’adjoint au maire chargé des affaires sociales, Daniel Rougé, l’assure : des solutions individuelles seront proposées aux jeunes. Pour autant, l’absence d’engagements précis et d’actes inquiète les associations. La solution proposée anéantit la dimension collective d’AutonoMIE qui rassure les jeunes. Elle fait en outre disparaître un acteur qui lutte pour faire respecter ses droits.

Que faire de ces jeunes que nous ne voulons voir ? Que dit la différence de traitement entre ces jeunes, racisés, et les jeunes réfugiés d’Ukraine ? Pourquoi certains sont laissés à la rue pour des raisons de procédures et d’autres accueillis dans l’urgence ?

Quelle sortie de crise ? AutonoMIE réclame : « une prise en charge par […] le Conseil départemental […] qui respecte les droits de l’enfant, c’est à dire une prise socio-éducative adaptée, une sécurité juridique, la scolarisation, le droit à la santé, une représentation légale et non pas une simple mise à l’abri avec un peu de nourriture ». Y parvenir semble poser problème à nos institutions. Faire moins serait indigne. S’y coller, c’est désigner où se loge notre (in) humanité.

POUR COMPRENDRE


11/2015 – 3/2016 : projet de déchéance de la nationalité
7/3/2016 : loi sur le droit des étrangers 12/4/2016 : le CD31 exige des preuves de minorité
5/7/2016 : création par le CD31 du DDAEOMIE (« étude » la minorité)
FIN 2016 : création d’AutonoMIE « Collectif toulousain de Mineur·e·s Isolé·e·s Etranger·e·s » 7/2/2022 : date fixées par la Mairie de Toulouse pour la fermeture du sites des Tourelles

POUR ALLER PLUS LOIN

◊ Le site du collectif AutonoMIE : autonomietoulouse.wordpress.com
◊ La Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) de l’UNICEF

◊ Le rapport du défenseur des droits, Les mineurs non accompagnés au regard du droit, 2022, sur defenseurdesdroits.fr

Illustrations 1 : La mairie de Toulouse revient sur sa décision de fermer le centre d’accueil de mineurs exilés, parues dans Médiacités, 5 février 2022, © Romuald Vuillemin

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