C’est la question qui agite Toulouse depuis une décennie et qui a encore animé la dernière campagne des municipales. Plutôt que de vous donner une avis définitif, nous avons préféré vous donner des éléments pour vous faire votre propre idée sur ce projet structurant pour notre métropole.
Un devoir de vacances qui fait du bruit
LL’histoire de la 3ème ligne de métro commence à l’été 2011. Maxime Lafage, 20 ans, étudiant à Sciences Po et passionné d’urbanisme et de transports, rédige une étude d’une centaine de pages dans laquelle il propose la réalisation d’une ligne de métro reliant Malepère à Saint Martin du Touch. A l’époque, le maire, Pierre Cohen, travaille sur la mise à jour du plan de mobilités (PDU) dans lequel il propose le prolongement de la ligne B jusqu’à Labège, l’extension du tram jusqu’à Aussone d’un côté et Matabiau de l’autre, un téléphérique à Rangueil et le développement d’un réseau de bus à haut niveau de service (BHNS). Le tout représente un investissement de 1,9 milliards d’euros et ce plan est adopté en 2012 par le conseil syndical de Tisséo.
La promesse de campagne du candidat Moudenc
C’est alors qu’arrive la campagne des municipales 2014. Jean-Luc Moudenc reprend l’idée de 3ème ligne de métro à son compte et en fait la mesure phare de son programme (avec la seconde rocade). A l’époque, la 3e ligne fait 17km pour un coût d’1,4 milliard d’euros et doit entrer en service en 2024. Elle sera financée “sans hausse d’impôts” selon le candidat, grâce à des économies, au financement des collectivités et un emprunt de 380 millions d’euros sur 18 ans. Sept ans, 2 campagnes et de multiples péripéties plus tard, les impôts locaux ont augmenté sur le mandat précédent mais les travaux du métro n’ont toujours pas démarré. La 3ème ligne est désormais longue de 27 km pour 21 stations, son coût avoisine 2,7 milliards d’euros et sa mise en service n’est pas prévue avant 2028. Mais surtout, son financement est encore loin d’être bouclé.
Le Super Banco
Accrochez-vous et sortez vos calculettes, vous risquez d’avoir mal à la tête. 2,7 milliards d’euros, ça ne se trouve pas sous le sabot d’un cheval. Comment financer un chantier aussi pharaonique ?
D’abord, demander un coup de main aux collectivités : le Département, la Région, l’État et l’Europe qui pourraient mettre la main au portefeuille à hauteur de 150 à 200 millions d’euros chacun selon Tisséo – dans les faits, pour le moment, seul l’État s’est engagé formellement. Puis aller frapper à la porte des banques pour trouver plus de 2 milliards d’euros. Toulouse a demandé 1.4 milliard d’euros de prêt à la Banque Européenne d’Investissement (BEI) mais n’a obtenu que 0.4 milliard d’euros, il reste donc 1.6 milliard d’euros à trouver. Mais c’est bien connu, on ne prête qu’aux riches ! Or, Tisséo doit encore rembourser 1,4 milliard d’euros de dettes de la construction de la ligne B, un endettement qui pourrait atteindre 3,5 milliards d’euros au total avec le lancement de la 3ème ligne. Allô, Jérôme Kerviel ?
Une crise qui change la donne
Pour se faire prêter une telle somme, il faut que Tisséo arrive à convaincre les banquiers qu’elle sera bien capable de la rembourser et c’est bien là que les choses se compliquent car il faudra pouvoir compter sur de nouvelles recettes. Certes l’ouverture de la nouvelle ligne va amener de nouveaux usagers, 200 000 voyageurs par jour selon des prévisions, mais c’est loin d’être suffisant pour payer les charges de la dette. Tisséo comptait aussi sur une augmentation du versement transport, une contribution de 2% de la masse salariale versée par les employeurs de plus de 11 salariés. La Métropole tablait à la fois sur l’augmentation régulière des salaires, le développement économique des entreprises et un petit coup de pouce du gouvernement pour augmenter le taux du versement au-delà de 2% comme en Ile de France. Inutile de dire que la crise économique qui vient impacter fortement notre territoire risque de remettre en cause ces hypothèses optimistes. Début 2021, Tisséo a fait état d’une baisse de 40% de sa fréquentation suite à la crise du COVID. Dernière solution, demander aux collectivités (Toulouse Métropole, SICOVAL et Muretain) de combler le manque à gagner par une hausse de leurs cotisations annuelles, une option qui devrait se traduire par une augmentation des impôts locaux difficilement acceptable dans le contexte actuel étant donné l’endettement déjà très important de Toulouse Métropole (1 milliard d’euros).
Le financement de la 3ème ligne est donc très loin d’être acquis à ce jour. C’est pour cette raison que la chambre régionale des comptes d’Occitanie (https://www.ccomptes.fr/system/files/2019-02/OCR2019-02_0.pdf) et le CODEV (Conseil de Développement) ont alerté ces dernières années sur la soutenabilité financière du projet. Le Collectif Citoyen Toulouse Métro a aussi déposé un recours contre le tracé de la 3ème ligne au profit d’un tracé plus central, moins long et moins onéreux. De son côté, la chambre régionale avait recommandé de construire la ligne en deux temps pour limiter l’investissement.
La procédure d’Autorisation Environnementale devrait s’étaler sur l’année 2021 et prévoit une enquête publique en septembre 2021. Ce sera la dernière étape administrative avant de pouvoir lancer les travaux.
Le débat
Pour
- Une ligne de métro a le mérite de passer sous terre et de ne pas perturber le trafic routier en surface
- Le métro est un investissement durable pour 100 ans au moins qui contribue à l’attractivité de la ville
- Le coût d’exploitation d’un métro automatique est plus faible que celui d’une ligne de bus ou de tramway
- Le métro est le moyen de transport en commun le plus rapide en ville (40km/h arrêts inclus en ville) et n’est pas perturbé par les bouchons. C’est aussi celui qui a la plus grande capacité en flux de voyageurs sur un trajet donné (160 personnes par rame et jusqu’à une rame par minute)
Contre
- La 3ème ligne ne répondra aux besoins de mobilité que d’une partie des toulousains et elle n’apporte pas de solution aux habitants de la périphérie de Toulouse.
- Pour moins cher et à plus courte échéance, on pourrait faire beaucoup plus en développant modes doux et transports en commun de surface. La réalisation d’une ligne de bus en site propre est 10 fois moins chère.
- C’est un investissement excessif qui va endetter Tisséo pour des dizaines d’années et bloquer le développement d’autres projets de mobilité.
- Elle arrivera trop tard et ne suffira pas à atteindre les objectifs de réduction de gaz à effet de serre exigés par les Accords de Paris. La rocade va voir ses bouchons augmenter pendant encore 10 ans.
Pour aller plus loin
- Pour les amateurs de frites, un reportage qui montre comment la ville de Gand, en Belgique, a entièrement revu son plan de circulation pour réduire le trafic automobile et réduire la pollution : La manière innovante dont Gand a retiré les voitures de la ville : https://www.youtube.com/watch?v=sEOA_Tcq2XA
- our les fans de polars, le livre Comment la France a tué ses villes d’Olivier Razemon (éditions Rue de l’Echiquier) qui explique la désaffection des centres-villes du fait du développement de la voiture individuelle.
- Pour les insomniaques, le Plan de Déplacement Urbain toulousain adopté en 2018 et récemment annulé par la justice, un document en plusieurs volets qui doit dépasser allègrement les 1000 pages : https://tisseo-collectivites.fr/projet-mobilites-2020-2025-2030-documents
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